Share the post "François Gabart et le Vendée Globe : “une rencontre avec soi-même”"
27 janvier 2013. François Gabart remporte le Vendée Globe deux mois avant son trentième anniversaire. Un exploit retentissant pour ce champion à part, qui nous avait fait le plaisir de revenir sur cette course forcément pas comme les autres. Sa passion pour les albatros, la dimension psychologique omniprésente, le rapport particulier avec le Cap Horn, un challenge sans égal : entretien au large de la navigation que nous connaissons.
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Entretien initialement publié le 19 Novembre 2020
François, quel souvenir du Vendée Globe 2012-2013 vous revient tout de suite en tête ?
L’accumulation d’émotions et de choses exceptionnelles font la richesse d’un événement comme le Vendée Globe. Le départ et l’arrivée sont très forts, et partagés avec le public, nos familles. L’arrivée est vécue de manière différente, mais l’émotion est partagée au même moment. La magie du chenal est très prenante, à chaque fois.
Se lancer dans un Vendée Globe, c’est partir pour trois mois en mer, au minimum. Comment se prépare-t-on à un tel défi ?
On se prépare à quelque chose de très grand en se concentrant sur des petites choses. Il faut s’habituer à partir tout seul 1, 2, 3, 10 journées, puis faire des transats, des entraînements poussés. Il faut se familiariser avec son futur quotidien une fois en mer. Sans banaliser la longueur, tu rends ces petits entraînements bout à bout toujours plus agréables. Cela n’a jamais été un gros souci pour moi que de gérer de longues courses. Il y a toujours eu des éléments plus complexes, mais il est certain que cela ne laisse personne indifférent. On s’habitue à vivre seul sur un bateau, le fait d’être concentré sur plein d’autres choses aide à gérer la course en elle-même.
Le plus difficile est de gérer un bateau tout seul, dans des conditions parfois difficiles, et d’aller le plus vite possible. Il faut composer avec les imprévus, faire face, et arriver jusqu’au bout pour boucler le tour du monde (sourire). Cela laisse peu de place au repos, c’est assez exigeant. Il n’y a pas de moment où l’on peut faire une pause, pas de mi-temps.
C’est non-stop, et d’un point de vue sportif, très long, bien plus long qu’un marathon. C’est très différent de ce que l’on peut imaginer dans le sport en général. Être capable de gérer cela, est un challenge extraordinaire et passionnant.
Il y a la course, la compétition, mais aussi les rencontres en mer. Gardez-vous des souvenirs insolites de ce premier tour du monde ?
On rencontre des situations (sourires). On peut voir des dauphins et des baleines au large, mais c’est assez rare. On les retrouve plus lors de navigations côtières, à Concarneau et vers l’archipel des Glénan par exemple, que lors d’un tour du monde. On ne voit pas plus d’animaux marins que cela. Par contre, on peut observer beaucoup d’animaux volants comme l’albatros, présent seulement dans les mers du Sud. Il s’agit d’un animal exceptionnel par sa taille, son élégance, ses performances…
Je vis ça comme un plaisir et un honneur de pouvoir le voir et de naviguer avec lui pendant quelques heures. Il va parfois plus vite qu’un IMOCA ! Naviguer avec des albatros est quelque chose d’assez frappant. On a même l’impression parfois d’avoir un échange avec eux.
La dimension psychologique est aussi très forte sur un tour du monde…
Une rencontre assez forte, c’est la rencontre avec soi-même. Le Vendée Globe en est un parfait exemple. Cela reste un exercice difficile et une opportunité de se comprendre un peu mieux, de faire face à des problèmes, à des émotions, à soi-même. Je ne connais pas d’équivalent sur la terre ferme pour arriver aussi loin et aussi fort.
J’ai beaucoup appris sur moi, j’ai l’impression d’avoir progressé sur plein de sujets, j’ai été confronté à des facettes de ma personnalité que je ne connaissais pas forcément. Fondamentalement, cela nous sert à rencontrer d’autres personnes, à élargir notre horizon.
“Il y a une connexion particulière qui se fait avec les éléments”
Le marin ne touche terre qu’à l’arrivée, et l’observe le plus souvent de très loin. Quel rapport avez-vous avec cet éloignement terrestre le temps de la compétition ?
C’est assez rare et exceptionnel que l’on puisse observer la terre de notre bateau. Nous sommes souvent plongés plusieurs semaines dans un univers où il n’y a que du bleu autour de nous. Il y a une connexion particulière qui se fait avec les éléments car en tant que marin, on est hyper attentif aux moindres variations du vent, et de la mer. Le fait d’être si éloigné de toute vie humaine décuple nos émotions, on a une sensibilité particulière. Souvent on sent l’odeur de la terre avant de l’apercevoir. Je me souviens lors du Vendée Globe avoir vu une fois la terre au Cap Horn, et peut-être une île au large du Brésil. Le Cap Horn signifie la fin des Mers du Sud, c’est un symbole fort qui marque le retour vers l’Atlantique. Il est symbolique, car après quasiment deux mois sans voir la terre, c’est assez rassurant de revoir cet élément familier (rires).
On peut lire de nombreux récits sur le mythe autour du Cap Horn. Comment avez-vous vécu de l’avoir franchi la première fois ?
Le Passage du Cap Horn représente beaucoup de fierté, énormément de fatigue, mais une forme de soulagement. Je savais que la course était loin d’être finie. La partie la plus difficile était devant moi, et je n’étais absolument pas à l’abri de problèmes techniques. Quelque part dans un coin de ma tête, je m’étais dit « au moins j’ai fait ça .» On se tirait la bourre avec Armel (Ndlr : Le Cléac’h) depuis un mois et demi. Le Cap Horn reste un endroit avec un classement. Je suis passé en tête, et je me suis dit à ce moment-la que sans problème technique, cela allait se jouer entre nous deux, avec notre avance sur le reste des concurrents. Je n’étais pas dans les favoris au départ, mais je me suis dit, j’arrive en tête au Cap Horn lors du Vendée. J’avais alors cette phrase en tête « ça on ne peut pas me le prendre », même si le pire arrivait, que le bateau flanchait 10 minutes après (rires), au minimum, j’avais déjà fait ça, c’était déjà énorme.
Les caps servent de repères pour ceux qui suivent la course. Quelle est votre perception de ces points précis ?
D’un point de vue très technique, c’est plus virtuel. C’est marqué sur tes instruments, mais c’est moins concret. Au Cap Horn, on voit la terre, et tout ce que cela représente. Tu changes de direction, car tu allais plein Est, et là, tu remets du Nord, quand pour les autres caps (Bonne Espérance puis Leeuwin) tu es en « ligne droite », limite, tu peux faire une petite sieste, car le vent reste le même. Tu peux passer un cap en dormant, mais pas le Cap Horn, car c’est un cap difficile à franchir. Mon premier Cap Horn était encore plus fort car j’étais en tête, proche du caillou. Sur le second, je passe plus au large (je ne l’ai pas vu), mais sur le premier, c’était très concret, c’était plus qu’une ligne coupée sur un ordinateur. Le réel, c’est fabuleux.